Mémoires d'un Expert : Entre Vérités et Artifices dans le Monde de l'Art

Wang Shixiang (1914-2009) Feng Guodong (1948-2005). Beijing Hutong

Nul expert digne de ce nom ne traverse sa carrière sans amasser son lot d'histoires extraordinaires. Lorsque deux connaisseurs ou deux experts se rencontrent, les récits fusent invariablement, témoignages d'un monde où l'authentique côtoie l'illusoire.

Si certains suivent la voie royale – École du Louvre, Christie's – d'autres, issus d'une génération révolue, se sont forgés au creuset de l'expérience. Mon parcours, lui, fut singulier. Dans la Chine des années 1980, j'eus le privilège d'étudier à l'université l'histoire, l'histoire de l'art et l'archéologie. Mais comment discerner le vrai du faux avec une éducation academique et n'ayant vu que des objets authentique dans des musées ?

Le destin me fit alors rencontrer celui qui allait devenir mon maître, Wang Shixiang. Chercheur éminent, expert en art chinois, collectionneur, poète,écrivain et calligraphe – un lettré dans la plus pure tradition. Dans son siheyuan traditionnel, cet érudit hors pair m'initia à l'art subtil de l'observation, m'enseignant à déceler la valeur historique, culturelle et esthétique des objets.

Les soirées me trouvaient souvent chez mon ami Feng Guodong, peintre alors méconnu, reconnu bien trop tard après sa disparition – cruel destin des artistes qui refusent de suivre les directives officielles. Dans sa modeste échoppe près de Gulou, près des tours ancestrales, il créait ses œuvres et, parfois, des "antiquités" pour les visiteurs étrangers. Je l'observais, fasciné par son art de l'imitation.

Les nuits se prolongeaient à Gulou, entre bols de tripes fumantes et raviolis, arrosés d'erguotou, cet ardent alcool de sorgho à 56 degrés . Nous partagions ces moments avec marchands d'art, femmes quelques fois légères et artistes, tous réunis dans une bohème Pékinoise aujourd'hui disparue.

Que d'histoires je pourrais encore conter ! Mes voyages à Jingdezhen, où des maîtres potiers créaient des répliques si parfaites qu'elles ont abusé les plus prestigieuses maisons de vente ... Mais ceci est une autre histoire, pour un autre jour.

Car être expert, c'est avant tout être passionné. C'est cette quête perpétuelle de compréhension, cette volonté de faire parler les objets, de déchiffrer leur langage secret. C'est une communion intime avec l'histoire, les styles et les techniques qui transcende la simple profession pour devenir une vocation. Dans ce monde où l'authentique et l'illusoire dansent une valse éternelle, nous sommes les gardiens d'une mémoire précieuse, les témoins privilégiés d'une beauté qui traverse les âges.